C’est étrange, de vivre de ce côté de l’Océan. C’est étrange d’avoir quitté la vie américaine pour venir s’établir ici – Nate ne peut prétendre le contraire. Mais il ne peut pas franchement dire que ça le dérange. Il est heureux d’être ici, heureux d’être parti. Soulagé d’avoir trouvé un pays où s’établir et dans lequel son mari pourra trouver aussi un équilibre, ou au moins la sensation d’un équilibre. Il sort du Casino et regagne sa voiture. Il vient de rencontrer son oncle, qui lui propose du travail. Le genre de travail qui entraîne une rémunération à laquelle on ne peut pas vraiment dire non, même si Nate n’a pas le moindre doute sur le fait que tant son mari que sa mère s’empresseront de venir lui faire la morale pour tenter de le dissuader de travailler ici. Il saura les convaincre, il l’espère – en tout cas au moins Alej.  

Il s’arrête en chemin pour commander des sushis et autres spécialités japonaises pour rapporter le tout à la maison pour le dîner. Il a tenté de trouver une maison qui ne serait pas trop différente de celle qu’ils habitent à New York – une grande maison avec une jolie piscine, chauffée ici car Blackpool n’est pas réputée pour sa chaleur torride. Rénovée, aménagée. Nate a mis du cœur à l’ouvrage. Il espère qu’avec le temps, son mari s’y sentira bien, parce que pour l’instant, à part les ondes négatives de la tristesse, Nate ne ressent pas grand-chose.

Il se gare dans la petite allée et s’empresse de rejoindre l’intérieur, déposant le dîner dans la cuisine et ses clés sur le meuble.

- Hey there, I’m home, il lance doucement, en attendant de voir apparaître les traits tirés de son mari.

Alejandro devrait sans doute se sentir soulagé, grâce à Nathan ses démarches ont été facilitées, il a pu quitter le pays sans heurts et dans des conditions décentes, ce qui lui a évité la honte, et le trauma qui ont touché d’autres membres de sa famille. La maison dans laquelle ils se sont installés n’est pas moins belle que l’ancienne, au contraire. La façade victorienne a plus de cachet, et le mobilier qu’ils ont réussi à faire transporter des États-Unis lui rappelle leur ancienne maison.

Tout a été fait de sorte à atténuer le choc et la déception qui a déchiré la famille, et il peut remercier Nathan qui a pris en charge les détails pratiques avec un calme qui ne ressemble qu’à lui. Aujourd’hui Alejandro est libre d’aller où bon lui semble et les démarches qu’il lui restent à faire sont dérisoires en comparaison avec celles avec lesquelles il se débattait aux États-Unis. Nate a réellement tout fait pour qu’il se sente chez lui ici et Alejandro se sent parfois bien ingrat en ne parvenant pas à se défaire de cette tristesse qui lui mord le cœur.

Il y a pourtant des avantages à cette situation, et ils ont déjà prévu une semaine de vacances à Paris à dormir dans les meilleurs hôtels et à visiter des musées magnifiques, un week-end à Londres aussi à fouler les allées de Harrods et prendre quelques photos assis au bord de la fontaine de Trafalgar Square… L’Europe leur ouvre les bras et il vit la vie rêvée d’un bon nombre de personnes. S’il relativise il sait qu’il a tout ce dont on pourrait rêver et pourtant il a l’impression d’avoir perdu ses repères, une partie de son identité aussi. Un goût amer de défaite dans la bouche, il tourne la clé dans la serrure, le vent marin n’a pas été à la hauteur de ses attentes.

Alejandro s’installe sur le canapé, se familiarise avec l’accent britannique, tout lui semble tellement différent ici à Blackpool. Lorsque Nathan rentre du travail, il se lève pour l’accueillir. La grâce de son mari est bien la seule chose qui reste inchangée. Sans dire un mot, il se réfugie dans ses bras, reprenant un peu de force dans son étreinte.

- I’ve missed you.